R�flexions
et propositions de Carl Edouin*
Une
situation devenue alarmante
Depuis
quelques ann�es, nos journaux automobiles professionnels ne cessent de
relater des projets de � d�graissage �, de fermeture ou de d�localisation.
Ces annonces sont devenues depuis quelques mois de plus en plus nombreuses,
reflet d�une situation tr�s pr�occupante, allant m�me jusqu'� �tre d�sormais
la mati�re de nombreux �ditoriaux. C�est pourquoi je crois qu�il est
vraiment temps de tirer la sonnette d�alarme !
Le
num�ro � Sp�cial
Statistique � de l�Argus,
en date automne de 2007, titre ainsi page 6 : � Pris
en �tau par l�explosion des co�ts, la pression des actionnaires et une
demande qui glisse toujours plus vers le low-cost, les
constructeurs cherchent de nouvelles alliances
� et r�sume la situation ainsi: �
L�industrie automobile fran�aise aura supprim� pr�s de 15 000 postes
entre 2006 et 2008. �
Les
analystes de l'institut Euler Herm�s pronostiquent d'ici 2010, 100.000
suppressions en Europe dont 30.000 en France ( page11 du Journal de
l'automobile du 27 04 07 ).
Et
son confr�re de chez Pricewaterhouse/coopers, Monsieur Philippe Vincent,
souligne:"On voit les �quipementiers d�placer leur production d'Europe
de l'Ouest vers celle de l'Est, puis vers des pays plus lointains, non
seulement vers la Chine, qui commence � co�ter cher, mais aussi vers l'Inde.
La pression exerc�e sur les co�ts par les constructeurs va amplifier ce ph�nom�ne"(
page 57 du Journal de l'automobile du 29 11 07) .
Le
directeur de PSA, M. Christian STREIFF d�clare dans le Journal
de l�Automobile du 14 septembre 2007 en page 8 : �
D�ici 2010, 45 % des usines devront �tre
situ�es dans des pays low-cost contre 32 % aujourd�hui ; c�est
essentiel pour am�liorer notre base industrielle � et
il ajoute � que l�objectif de
PSA est de porter de 23 % � 47 % la part du sourcing provenant des pays �
bas co�ts�.
Dans
ce but, P.S.A. va porter son bureau d'achat � Shanghai de 20 � 60 personnes
en attendant d'en ouvrir a Istanbul, Trnava et T�h�ran (Argus du 22 03 07
page 62).
Monsieur
Batteux, pr�sident de la F.I.E.V. pr�voit 30.000 suppressions de postes chez
les �quipementiers d'ici 3 ans ( J.A. du 25 05 07 page 10).
J.T.A.
du 2 10 2006 page 3 cite l'A.F.P. : La Chine pr�voit de multiplier par 7 ses
exportations de pi�ces et v�hicules d'ici 2010.
L'Argus
du 30 03 2006 rappel page 4 que selon Euler Herm�s, l'heure de travail
revient � 28,50 en France, 2,10 en Roumanie, 1,70 en Bulgarie et ...1 euros
en Chine !( Question du "droit de l'Hommiste"de service, et
s'il existe, du syndicat des juges Prud'homaux Fran�ais : "Est-ce
que les consommateurs Fran�ais de produits de ces pays low-cost ne vont-ils
pas �tre tortur� par le remord en apprenant ces chiffres ? ).
L��ditorialiste
de L�Argus pr�cise, page 3 du num�ro du 25 octobre 2007 � qu�en
passant de 25 � 70 % pour VALEO, de 35 % � 60 % pour RENAULT, cette
invisible invasion p�sera sur notre tissu industriel
�. Doux euph�misme pour d�signer un brutal accroissement du ch�mage.
Exemple
en vrac : 198 ouvriers chez Heuliez � Cerizay et 1770 chez Karmann � Rheine
(page 6 et 7 de l'Argus du 27 12 07). Faurecia: apr�s les 7000
suppressions de postes entre fin 2004 et fin 2006 en Europe de l'Ouest, encore
1000 suppressions d'ici fin 2008 en France (page 24 du Journal de l'Automobile
du 23 11 07. l 140 suppressions chez Delphi � Gummersbach et 650 chez
Magna Steyer en Autriche ( page 20 et 21 du Journal de l'automobile du 30
11 07) .
Et
dans notre d�partement, l'�veil Normand du 13 12 2006 relatait 8000 emplois
industriels supprim�s depuis 2001 ou en passe de l'�tre : Metzeller ( 1200
), Cadence Innovation ( 320 ), Cinram ( 160 ) , Eclair Prym ( 121 ) **.
Petite
lueur d'espoir devant ces "r�signations" avec la menace de Monsieur
Fran�ois Gayral, directeur qualit� et service chez Renault : "il
est hors de question de laisser un m�tre de libert� � des contrefacteurs
�hont�s", parce-que, d�plore t-il, "ont
de surcro�t un effet n�gatif sur l'emploi hexagonal"!
(page 37 du J.A. du 26 10 07).
C�est
pourquoi le CNPA fait fausse route en exhortant les
pouvoirs publics � favoriser syst�matiquement l�achat de voitures neuves,
au pr�texte qu�elles sont moins polluantes, � l�aide de primes � la
casse pour les anciennes, de cr�dit d�imp�t et de pr�t � taux z�ro.
Aujourd�hui
plus de 50% des voitures fran�aises, et 80% de leurs composants contre 20% en
1960, sont �trangers.
La
fabrication de voitures neuves, en effet, induit de moins en moins d�emplois
en France alors que des solutions alternatives existent et que celles-ci
devraient faire l�objet d�une attention plus soutenue des pouvoirs
publics.
D�autres
solutions existent pourtant
Une
incitation � faire durer davantage les voitures constituant le parc
automobile aurait pourtant d�incontestables avantages dont il faut avoir
clairement conscience :
n
Elle permettrait de nourrir
l�emploi de proximit�. L�entretien r�gulier des v�hicules existants
ainsi qu�une mise � niveau, comme en Allemagne o� une prime de 350 euros
est vers�e pour �quiper un v�hicule de pot catalytique,
conduirait � �viter le d�part de 3 %
d�ouvriers qualifi�s et 6 % d�apprentis comme cela a �t� constat� par
l�INSEE entre 2003 et 2004 sous le titre "Moins d'ouvriers et davantage
de cadres ! ", ( page 3 d'Equip'auto du 15 10 07 ).
n
Si chacun des 72 223
concessionnaires, agent ou M.R.A embauchait un ouvrier m�canicien
ou un jeune pour le former, combien cela cr�erait-il d�emplois ?
Non seulement les 72 223 emplois cr��s directement mais �galement
d�autres emplois indirects induits.
-
dans
le b�timent pour l�extension ou la construction d�ateliers,
-
chez
les fabricants, installateurs, r�parateurs d�outillage, d�organes, de
pi�ces d�accessoires, d��quipements divers.
-
ainsi
que dans les fili�res de formation.
Sur
le plan de l�emploi le bilan serait donc extr�mement positif.
n
Sur le plan �cologique et
environnemental, la situation serait �galement positive car il faut se m�fier
des approches h�tives.
1er
: ces emplois n�cessiteront que de tr�s courtes distances car
une grande usine de construction automobile, en plus de l'acheminement de sa
production si elle est aux antipodes, provoque des flux d'ouvriers
souvent � plus de 100 kms � la ronde.
Idem
pour les automobilistes faisant durer leur voiture chez le professionnel de
leur village ou quartier, n'auront ainsi pas � se rendre dans de
lointaines concessions captives pour n�gocier du neuf
ou (de plus en plus souvent h�las!), subir des r�parations sous garanties.
2eme :
Un rapport de l�ADEME �tablit, en
effet, que la construction d�une tonne de v�hicule
produit 5,5 tonnes de Co2.
Or une voiture neuve, du type Clio, �met 138 g. de Co2 par
km. Une voiture plus ancienne comme la R 5 �met 165 g. de Co2 par km. La diff�rence
est donc de 27 g/km.
Un
calcul montre en cons�quence qu�avant de commencer � compenser les 5,5
tonnes de CO2 produites lors de la fabrication d�une
voiture neuve, on pourra rouler 203 700
km avec la R5 !
Pour
une voiture de 1 t. et demie, on pourra rouler 305 500 kilom�tres et
pour une voiture de 2 t. 407 400 kilom�tres avant qu�il n�y ait une r�elle
diminution du Co2 !
Type
de v�hicule
|
Nombre
de km parcourus avant compensation du Co2 produit par la fabrication
de l��quivalent neuf
|
Petite
voiture (1 tonne)
|
203.700
km
|
Voiture
moyenne (1,5 tonne)
|
305.000
km
|
Grosse
voiture (2 tonnes)
|
407.000
km
|
On
le voit : sur le plan �cologique, la conservation des
voitures existantes est parfaitement pertinente.
Dans un communiqu� du 26 octobre 2007, M. Michel VILATTE, pr�sident de la
F.E.D.A. (F�d�ration des syndicats de la distribution automobile) d�plore
qu�� l�issue du Grenelle de l�environnement ses propositions n�aient
pas �t� prises en compte :
n
Premier point: renforcer le
contr�le des �missions polluantes dont le co�t serait amorti par les �conomies
de consommation.
n
Deuxi�me
point: promouvoir la pose de filtres � particules en post
�quipement et l��change des catalyseurs d�fectueux
n
Troisi�me point: inciter
� l�entretien des �l�ments dont le mauvais
fonctionnement p�nalise la consommation et la pollution: pneus, amortisseurs,
r�glage de l�allumage, de l�injection, filtration.
Il
souligne que de telles mesures ont l��norme avantage d��tre
applicables imm�diatement,
ne r�clament pas ou peu
d�investissement et ne g�n�rent aucune
consommation d��nergie suppl�mentaire tout en d�veloppant l�activit�
sur le territoire fran�ais. De surcro�t, elles ne d�t�riorent pas la
balance de notre commerce ext�rieur.
Des
mesures qui auraient �galement une utilit� sociale et humaine
La
pr�servation de l�emploi non ou peu qualifi� et la cr�ation d�emplois
nouveaux dans le secteur de l'apr�s-vente automobile, comme je le propose,
contribuerait � �viter le g�chis humain qu�entra�nent les multiples
plans de restructuration. Dans "R�ussites" de 09 2005, le
cabinet Gartner Group/Microsoft France met en garde sur le d�couragement des
salari�s locaux devant l'externalisation d'une partie de leur activit�. Sur
ce m�me registre, j'ai assist� le 21 02 2006 � une conf�rence du
Club "Relations Internationales"; Laurence Benamou journaliste �
l'A.F.P. y commentait son livre "Le grand bazar mondial", o�
elle d�plore ce fameux "sourcing" massacreur d'emploi en
occident. Elle s'y interroge sur les r�actions des consommateurs quand
ils apprendrons que la surconsommation � laquelle ils peuvent s'adonner,
s'articule sur l'exploitation de nos fr�res des antipodes. Ce qui a amen�
un �minent Chinois pr�sent, �voquant la sueur et le sang des ouvriers
des usines de son pays, y voyait "une continuation de l'exploitation des
pays en d�veloppement par les pays d�velopp�s" !
Ces
restructurations/d�graissage/plan sociaux donnent aux ouvriers et aux
employ�s qui en sont victimes le sentiment de n�avoir pas �t� reconnus
dans leur existence sociale, et m�me d�avoir �t� humainement ni�s, avec
les cons�quences que l�on conna�t sur le plan de la sant�, la d�linquance,
le travail au noir, donc in fine, d'�normes surco�ts pour la
collectivit�.
Mais
il faut aussi r�fl�chir aux possibilit�s qui seraient ainsi offertes de
former des jeunes pas ou peu dipl�m�s et fragilis�s dans la situation
actuelle. L�acc�s � un travail est en effet un bon moyen de lutter contre
la poudri�re des banlieues ou contre les risques d�explosion sociale.
Le
secteur de l�automobile, ne l�oublions pas, occupe un fran�ais sur dix :
il est inutile d�insister par cons�quent sur la puissance de ce levier pour
changer le paysage �conomique, social et environnemental du pays.
En
conclusion : que faire ?
Le
� toujours plus � productif dans les pays � low-cost�
n�est donc pas la solution � d�velopper. Ceci revient, comme le dit Claude
IMBERT dans un �ditorial du Point du 30 d�cembre 2006 � �
d�valuer la France qui cr�e au profit de celle qui per�oit �.
Mais une meilleure gestion des ressources
existantes, l�entretien, la r�paration, le suivi et la mise � niveau �ventuel
des v�hicules, ainsi que l��ducation induite des conducteurs qui
n�assimileront plus leurs voitures � un produit de consommation jetable,
constituent des voies � prendre tr�s s�rieusement en consid�ration. Privil�gier
de faire durer le parc dans nos garages de villages, de quartiers, au lieu de
favoriser massivement l�achat de voitures produites aux antipodes rel�ve
donc d�une saine politique, saine � tous les sens du terme.
Carl
Edouin*
* N�
en 1942. 1954-1964: ouvrier agricole et m�canicien dans la ferme
maternelle, 1964-1968: vendeur chez Citro�n Rouen, 1968-1972:
chef des ventes chez Peugeot Bernay, 1972-1977: agent Citro�n �
Nassandres, 1977-1997: concessionnaire Lancia et Nissan, et enfin
garagiste libre avec un grand L (concept de garage �cologique laur�at de
la fondation Nicolas Hulot/Ushuaia en 1993). Pr�cisions: www.4x4edouin.com
[email protected]
**Ces
coupes sombres parmi les ouvriers ouvrent un d�bat "vertigineux"
quand on les compare avec les r�ponses de Sergio Marchionne, patron (et
sauveur) de Fiat quand lui a �t� d�cern� le titre "Homme de l'ann�e
2006" . Question : Vous �tes all� � contre-courant des plans sociaux
pharaoniques en pr�f�rant renouveler les managers que de supprimer
massivement des emplois de cols bleus, pourquoi ?
S.M.
: Je sais que les plans sociaux de cette nature ne sont pas
toujours la solution pour sortir d'une crise.
Ca
rassure les places financi�res, mais apr�s ...Je suis persuad�
que quand une entreprise a des difficult�, ce n'est pas
de la faute des ouvriers. Ce serait trop simple... Dans un tel cas de
figure, c'est qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas au niveau de votre
organisation et de l'efficacit� de vos managers ! (
page 8 du Journal de l'automobile du 30 03 2007 ) .
Et
pour "simplifier" le d�bat, je cite le J.A. du 8 juin 2007, page 47:
"Il est clair que mettre d'accord
les automobilistes et les salari�s des industries de l'automobile est
impossible. Les uns veulent toujours plus d'�quipements � des prix toujours
plus bas, les autres veulent conserver leurs emplois et leurs conditions
salariales. Les industriels tranchent en implantant
leurs usines dans des pays � bas co�t et surtout dans les march�s qui les
int�ressent. Il y a moins � craindre des d�localisations que la fin
progressive des investissements en France. La solution est avant tout
politique." !!!.............